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1878 NOURRICE, SEVREUSE OU GARDEUSE (2/2)




En ouvrant le Registre de protection du 1er âge, c’est un peu de la vie de Céline AUBINEAU qui nous est apparu. Mais que nous apprend sur les nourrices de Bracieux, le registre, ouvert en juin 1878 ?









Au cours des 20 années étudiées (1878 à 1898), on dénombre 95 placements, qui ont concerné 86 enfants (certains changent de nourrice, comme le bébé François Marcel GENET qui passe entre les mains de 3 nourrices au cours de ses 7 premiers mois). Ces enfants sont issus de 76 familles au total.
60% d’entre eux sont nés à Bracieux mais on en compte aussi un quart qui vient de Paris. Car les bébés parisiens sont en effet très souvent envoyés à la campagne (29% des bébés en 1887-1888).

Les bébés parisiens arrivent très tôt chez leur nourrice : parfois le jour même de leur naissance comme pour le petit Georges TOUCHARD ou le lendemain pour le bébé Eugène BESSON. Difficile d’imaginer le voyage de ces nourrissons de quelques heures transportés par des « meneurs » dont c’est le métier. Ce seront les mêmes meneurs qui les ramèneront ensuite à leurs parents quelques mois ou années plus tard s’ils ont survécu… Et ce sont toujours les mêmes meneurs qui apportent chaque mois le salaire de la nourrice lorsque le bébé vient de loin et  qui rapportent des nouvelles aux parents.

Le tarif moyen ressort à 24 francs par mois. Il varie en fait de 8 à 30 f par mois. Il ne dépend pas tant du « mode d’élevage » (biberon ou sein) que des ressources des parents. Les deux tiers des bébés sont nourris au biberon.


1860 - Livret d'enfant placé

Pourquoi les envoyer en nourrice ? Ces bébés sont probablement issus de familles pauvres, de mères qui travaillent, parfois de mère célibataire. Ils sont donc mis en nourrice dans de la famille, ou, envoyés par l’intermédiaire de « rabatteurs », médecins, sage-femme ou Bureaux de nourrices, ou bien encore placés par l’Assistance Publique (ici les Hospices de Paris ou les Hospices de Blois).





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Le Registre cite aussi plusieurs fois le nom de de Mme TROUSSE, rue de la Harpe et de l’agence POMMEREUIL, 24 rue du Cherche- Midi à Paris, intermédiaires bien connus à l'époque.

Ce bureau fournit des nourrices aux familles parisiennes plus aisées et renvoie en province les bébés de ces dernières ... Il fournit aussi des lieux d'accueil aux bébés des femmes qui ne peuvent se passer de leur travail.

Bureau de nourrice, rue du Cherche-Midi



A Bracieux, toutes les catégories sociales mettent leur enfant en nourrice : journalier, domestique, négociant, épicier, charbonnier, boulanger, notaire, percepteur, instituteur... On y trouve même 2 nourrices, qui s’occupent des enfants d’autres familles et font garder le leur. C’est le cas de la nourrice de M. DELASALLE à Mont, Marie-Louise HAINAUT, dont la petite Marie-Eulalie est à Bracieux ou bien de Silvine DESBORDES, nourrice à Palaiseau, qui a laissé sa petite Emilienne à Dhuizon.

70 femmes, toutes mariées (4 sont veuves), ont accueillis ces 86 enfants. Elles sont appelées « nourrice, sevreuse ou gardeuse ». Elles doivent être déclarées, elles sont soumises à un contrôle médical et, pour chaque enfant placé, elles reçoivent un agrément et un salaire déclaré. La procédure est la même lorsqu’il s’agit de la grand-mère, comme c’est le cas de Catherine CHABRIER, femme POURADIER, qui garde ses petites-filles, alors que leur mère est domestique.

Les nourrices ont le plus souvent pris en charge 1 ou 2 enfants. Le record est établi par Adeline GUILLON femme AUBINEAU, qui en a accueilli 6 de Bracieux et 1 de Paris entre 1878 et 1898. 

Les enfants sont mis en nourrice pour un délai assez court, entre 10 et 24 mois souvent, probablement le temps du sevrage ; plusieurs enfants atteints par « la limite d’âge » à 2 ans, sont retirés. Le métier de nourrice ne semble donc qu’un appoint ponctuel et « naturel » pour ces femmes. Il n’est d’ailleurs jamais déclaré comme métier dans les registres de recensement de l’époque.

Dans certains villages, le taux de mortalité de bébés en nourrice est effarant : Emmanuelle ROMANET cite à titre d’exemple, sur un canton, 71% de mortalité infantile la 1ère année pour les bébés parisiens accueillis à comparer aux 17,5% de mortalité en 1865 pour l’ensemble de la France.
Pourtant à Bracieux, le registre ne recense que 7 décès sur les 86 placements étudiés, soit 8% ? Les nourrices à Bracieux seraient donc bien plus professionnelles que la moyenne des nourrices françaises ? 

Pourtant le métier est bien mal reconnu : les parents ne sont pas fidèles à la nourrice de leur premier enfant et changent de nourrice à l’enfant suivant. Et qu'il s'agisse de famille parisienne ou bracilienne, c’est la même chose : c’est le cas du notaire Paul BOURRASSIN, du boulanger Isidore CHESNAY, de Désiré FESNEAU, serrurier puis meunier, des épiciers Alfred LIDONE et Adolphe RAYE, du négociant PEZON Gustave, …

On n’oublie pas qu’on parle ici d’élevage

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Sources :
           - Registre de protection du 1er âge (Archives municipales de Bracieux)
           - Recensement de population 1881
           - Registres d’état-civil (Archives départementales en ligne)
           -  La mise en nourrice, une pratique répandue en France au XIXe siècle, Emmanuelle ROMANET, Août 2013 http://transtexts.revues.org/497
          - Rapport de recherche Le statut du lait maternel de Nadine Reiter, 1994, Université Robert Schuman faculté de droit et de sciences politiques

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