En ouvrant le Registre de protection du 1er
âge, c’est un peu de la vie de Céline
AUBINEAU qui nous est apparu. Mais que nous apprend sur les nourrices de Bracieux, le registre, ouvert
en juin 1878 ?

60% d’entre eux sont nés à
Bracieux mais on en compte aussi un quart qui vient de Paris. Car les bébés
parisiens sont en effet très souvent envoyés à la campagne (29% des bébés en 1887-1888).
Les bébés parisiens arrivent très
tôt chez leur nourrice : parfois le jour même de leur naissance comme pour le petit Georges
TOUCHARD ou le lendemain pour le bébé Eugène BESSON. Difficile
d’imaginer le voyage de ces nourrissons de quelques heures transportés par des « meneurs » dont c’est le métier. Ce
seront les mêmes meneurs qui les
ramèneront ensuite à leurs parents quelques mois ou années plus tard s’ils ont
survécu… Et ce sont toujours les mêmes meneurs
qui apportent chaque mois le salaire de la nourrice lorsque le bébé vient de
loin et qui rapportent des nouvelles aux parents.
Le tarif moyen ressort à 24 francs par mois. Il varie en fait
de 8 à 30 f par mois. Il ne dépend pas tant du « mode d’élevage » (biberon ou sein) que des ressources des
parents. Les deux tiers des bébés sont nourris au biberon.
1860 - Livret d'enfant placé |
Pourquoi les envoyer en nourrice ?
Ces bébés sont probablement issus de familles pauvres, de mères qui travaillent,
parfois de mère célibataire. Ils sont donc mis en nourrice dans de la famille,
ou, envoyés par l’intermédiaire de « rabatteurs », médecins,
sage-femme ou Bureaux de nourrices,
ou bien encore placés par l’Assistance Publique (ici les Hospices de Paris ou les Hospices de
Blois).
Le Registre cite aussi plusieurs
fois le nom de de Mme TROUSSE, rue
de la Harpe et de l’agence POMMEREUIL,
24 rue du Cherche- Midi à Paris, intermédiaires bien connus à l'époque.
Ce bureau fournit des nourrices aux familles parisiennes plus aisées et renvoie en province les bébés de ces dernières ... Il fournit aussi des lieux d'accueil aux bébés des femmes qui ne peuvent se passer de leur travail.![]() |
Bureau de nourrice, rue du Cherche-Midi |
A Bracieux, toutes les catégories
sociales mettent leur enfant en nourrice : journalier, domestique, négociant, épicier, charbonnier,
boulanger, notaire, percepteur, instituteur... On y trouve même 2 nourrices, qui
s’occupent des enfants d’autres familles et font garder le leur. C’est le cas
de la nourrice de M. DELASALLE à
Mont, Marie-Louise HAINAUT, dont la
petite Marie-Eulalie est à Bracieux ou
bien de Silvine DESBORDES, nourrice
à Palaiseau, qui a laissé sa petite Emilienne à Dhuizon.
70 femmes, toutes mariées (4 sont
veuves), ont accueillis ces 86 enfants. Elles sont appelées « nourrice, sevreuse ou
gardeuse ». Elles doivent être déclarées, elles sont soumises à un
contrôle médical et, pour chaque enfant placé, elles reçoivent un agrément et
un salaire déclaré. La procédure est la même lorsqu’il s’agit de la grand-mère,
comme c’est le cas de Catherine CHABRIER,
femme POURADIER, qui garde ses petites-filles, alors que leur mère est
domestique.
Les nourrices ont le plus souvent
pris en charge 1 ou 2 enfants. Le record est établi par Adeline GUILLON femme AUBINEAU, qui en a accueilli 6 de Bracieux et
1 de Paris entre 1878 et 1898.
Les enfants sont mis en nourrice
pour un délai assez court, entre 10 et 24 mois souvent, probablement le temps du sevrage ; plusieurs enfants atteints par « la limite d’âge »
à 2 ans, sont retirés. Le métier de nourrice ne semble donc qu’un appoint
ponctuel et « naturel » pour ces femmes. Il n’est d’ailleurs jamais
déclaré comme métier dans les registres de recensement de l’époque.
Dans certains villages, le taux
de mortalité de bébés en nourrice est effarant : Emmanuelle ROMANET cite à titre d’exemple, sur un canton, 71% de
mortalité infantile la 1ère année pour les bébés parisiens accueillis à comparer aux 17,5% de mortalité en 1865 pour l’ensemble de la France.
Pourtant à Bracieux, le registre
ne recense que 7 décès sur les 86 placements étudiés, soit 8% ? Les
nourrices à Bracieux seraient donc bien plus professionnelles que la moyenne
des nourrices françaises ?
Pourtant le métier est bien mal reconnu : les
parents ne sont pas fidèles à la nourrice de leur premier enfant et changent de
nourrice à l’enfant suivant. Et qu'il s'agisse de famille parisienne ou bracilienne, c’est la même chose : c’est le cas du notaire Paul BOURRASSIN, du boulanger
Isidore CHESNAY, de Désiré FESNEAU, serrurier puis meunier, des épiciers Alfred
LIDONE et Adolphe RAYE, du négociant PEZON Gustave, …
On n’oublie pas qu’on parle ici d’élevage …
Sources :
- Registre de protection du 1er âge
(Archives municipales de Bracieux)
- Recensement de population 1881
- Registres d’état-civil (Archives départementales
en ligne)
- La mise en
nourrice, une pratique répandue en France au XIXe siècle, Emmanuelle ROMANET, Août 2013 http://transtexts.revues.org/497
- Rapport de recherche Le statut du lait maternel
de Nadine Reiter, 1994, Université Robert Schuman faculté de droit et de
sciences politiques
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