Bracieux, samedi 1er
juin 1878
Céline GUENON pousse un soupir de soulagement, quel
plaisir de laisser les petits quelques dizaines de minutes à sa voisine ! Parce
que 6 enfants de moins de 6 ans, cela ne laisse pas beaucoup de répit…
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L'Hôtel de ville, place Champ Jobert |
Elle quitte sa maison, traverse la place du Champ de foire et gagne la
place du Champ Jobert.
Dommage qu’on soit samedi, ce n’est pas jour de foire, parce qu’elle en
aurait bien profité pour flâner autour des étals… Maintenant, qu’elle est
nourrice, elle touche la pension des 3 petits chaque mois et les fins de mois se sont un peu améliorées. Avant, lorsqu'il n'y avait que la paye de Christophe, son mari, tour à tour
journalier ou maçon, c’était beaucoup plus difficile à la maison... Vivement que les garçons donnent un coup de main !
Céline arrive la première à la mairie, elle y est
convoquée avec les autres nourrices de Bracieux. Elles se connaissent toutes : Marguerite PERROT (femme PERCEVAL), Lucie
BERTHELIN (femme HENAULT), DIOT (femme JUSNEAU), Thérèse HIDOUIN (femme
AUBINEAU), Julie BOUCHER (femme BODIN).
C’est le maire qui les a convoquées. Le maire, c’est aussi le
pharmacien, Jean-Baptiste DELASALLE, le maire, en voilà un qui l’agace, pense Céline, avec sa manie de tout régenter, voilà
que maintenant il veut surveiller les nourrices. C’est à cause de lui qu’elle
doit se rendre à la mairie aujourd’hui.
C’est peut-être le maire lui-même qui les reçoit ou bien plus
probablement son secrétaire de mairie, l’instituteur, Louis Jules TRINQUESSE, qui contrôle les informations fournies
par ces dames.
Ils appliquent la récente « loi Roussel » d’après le nom du
médecin, député et président de la société protectrice de l’enfance, qui met en
place un système de surveillance des enfants de moins de 2 ans confiés à des
nourrices. L’objectif est de lutter contre l’effroyable mortalité qui touche
les enfants confiés à des nourrices à la campagne à la différence des enfants
élevés dans leur propre famille.
Céline déclare garder 3 enfants, tous trois enfants « assistés » :
- - Céline Louise, 5 ans, est née à Paris, elle a été envoyée à Bracieux par les Hospices de Paris.
- - Louis, 4 ans, vient de la région,
c’est un enfant naturel, sa mère est domestique à Chambord mais c’est le
département qui finance et gère son placement en nourrice.
- - et le
bébé, Marie Pélagie, 6 mois, née à Paris
est aussi suivie par les Hospices de
Paris.
Céline ne connaît pas l’histoire des 2 filles : ont-elles été abandonnées
par leurs parents respectifs ? Leurs familles sont-elles trop pauvres pour
les élever ? Ont-elles été retirées à des parents jugés « indignes »
par l’administration ? Tous les cas de figure sont possibles.
Céline remplit toutes les formalités demandées. Pour chaque enfant,
date et lieu de naissance, religion, nom et adresse des parents, N° d’agrément
en tant que nourrice, etc. Elle va ensuite être régulièrement visitée par les inspecteurs ou contrôlée par le juge de paix de Bracieux qui doit s'assurer du bon traitement des enfants en nourrice.
[L’histoire pourrait continuer, toute ressemblance avec des personnes ayant existé ne serait pas fortuite car les personnes, les dates et les lieux ont bien existé même si la mise en scène est imaginaire !]
Céline AUBINEAU, épouse de
Christophe GUENON, a été la première nourrice enregistrée dans le Registre de
protection du 1er âge, ouvert le 1er juin 1878 à
Bracieux. Que savons-nous de la suite de l’histoire ?
- Céline accouche d’un 4ème garçon,
François, le 3 août 1878. Mais il meurt
le mercredi 9 octobre 1878, à l’âge de 2 mois.
- Quelques mois plus tard, c’est le tour de la
petite Marie Pélagie « Le 26 mars
1879, à six heure du matin, Marie Pélagie PELET, élève des enfants assistés de
Paris portant un collier ayant le N° 96916, âgée de seize mois, … est décédée
en la maison de sa nourrice… »
- A l’été suivant, les enfants de l’assistance sont
retirés au couple GUENON : le 1er août 1879 pour Louis MASSON, 5
ans et, le 17 octobre, pour Céline Louise ROBERT, 6 ans.
Que sont devenus les enfants ?
Ils ont probablement été confiés à une autre famille car trop jeunes encore
pour apprendre un métier et il était très rare qu’on rende un enfant assisté à sa famille biologique.
Après avoir été couturière puis
ménagère puis nourrice, Céline AUBINEAU
ne sera plus que mère de famille. Mais une belle famille, car elle aura 11 enfants
au total. Elle n’apparaît plus dans le registre des nourrices. Et, en 1900, à 54 ans, Céline décède à Bracieux, en sa maison
rue du Gué Renard.
Qu'apprend-on du Registre de protection du 1er âge ? ... A suivre.
Sources :
- Registre de Protection du 1er âge (Archives municipales de Bracieux),
- Etat-civil de Bracieux (Archives départementales en ligne)
- Etat du recensement 1881 (Archives départementales en ligne)
6 ans, c'est l'âge auquel s'arrête le paiement des indemnités des nourrissons parisiens, jugés alors aptes à compenser leur coût par leur travail. Pour connaître l'histoire de l'industrie du nourrisson parisien dès le XVIIIe siècle, légitime ou trouvé, lire "Au Sein de Paris" de Christian De la Hubaudière. (site : tousauparadis.com)
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