Deux jeunes laboureurs faiseurs de pots de terre* à Bracieux sont accusés de meurtre ... Une histoire compliquée !
Peu de temps après Pâques de
l’année 1377, Jehan des Champs le Jeune se rendit un jour à Bracieux pour
crier et dire à tout le monde que Jehan et Regnault les Guillons, frères, et
Estienne Suplice et sa femme, avaient battu et blessé un certain Pierre Samxon
surnommé Bobe, valet du père de Jehan et Loys Les Gaz, frères, habitants de
Bracieux. Le valet était en danger de mort.
A ces cris, plusieurs personnes
de la ville allèrent à l’endroit où le valet avait été battu, au Tranchet
(« Tranchay »). Renault le Guillon ayant fait savoir qu’il était sous
la sauvegarde du roi, les deux frères Les Gaz allèrent trouver le prévôt de
Bracieux, représentant du comte de Blois, pour le prier de se rendre avec eux
sur les lieux. Les trois hommes allèrent donc au Tranchet, Jehan s’était armé
d’un bâton, et Loys, d’un fourgon de four *. Là-bas, ils trouvèrent des gens de
Bracieux qui se querellaient (« riotaient ») avec les Guillons,
Estienne Suplice et sa femme. Jehan des Champs, qui avait prévenu les gens de
Bracieux, frappa avec un billard* Regnault le Guillon qui s’écroula. Quand il se
releva, il accusa Loys Le Gaz de l’avoir frappé au côté avec un bout de son
fourgon. Regnault le Guillon fut visité
par le barbier* qui ne constata aucun mal, sinon que Regnault avait un peu le
cuir de la tête entamé mais que ce n’était pas grave.
Regnault le Guillon
reprit les jours suivants ses labours, tant à la houe (« marie »)
qu’à la charrue, et comme à son habitude, joua à la paume* longuement, alla
boire dans plusieurs tavernes faisant bonne chair comme auparavant. Pendant ses
labours, il dit à d’autres laboureurs qu’il ne sentait aucun mal. Mais onze
jours après la bagarre, Regnault dût se coucher, malade, et quatre jours plus
tard, mourut. Dans son lit, avant de mourir, Regnault se plaignit fort de son
côté, là où il prétendait que Loys Le Gaz l’avait poussé avec son fourgon au
Tranchet. Quelques jours plus tard, à Bracieux, moururent curieusement deux ou
trois personnes, auparavant en bonne santé.
A la suite de ces événements,
Jehan des Champs, qui avait frappé Regnault avec son billard et avait confessé
son acte avant le décès de Regnault, quitta le pays. Les deux frères Les Gaz
furent emprisonnés à Orléans suite à leur dénonciation par la famille de
Regnault, non à la suite des faits mais par voie d’accusation. Ils
protestèrent, mais le procureur du roi, suite à l’enquête, les accusa d’avoir
été complices dans la rixe, et d’avoir battu Regnault de leurs bâtons. En
conscience les deux frères se sentaient innocents, surtout que Regnault avait
confessé, avant sa mort, n’avoir nullement été frappé par Jehan Le Gaz.
Les deux frères, qui étaient de
jeunes et pauvres laboureurs, faiseurs de pots de terre* à Bracieux, étaient en
aventure d’être maltraités et punis par la justice d’Orléans. Leur famille fit
appel à la miséricorde royale. Le roi Charles V, estimant que ces deux jeunes
étaient de bonne renommée et prenant en considération leur longue détention en
prison où ils avaient souffert, leur accorda des lettres de rémission* établies
à Paris en avril 1378.
Source : Archives Nationales JJ 112, folio 122, N°214
Un peu de vocabulaire :
- Fourgon de four : longue perche de bois garnie de fer
au bout, servant à remuer la braise dans le four.
- Laboureur faiseur de pot de terre : probablement un laboureur extrayant la terre pour le compte des d’un potier ou d'une briqueterie.
- Jeu de paume : jeu de balle très répandu au Moyen-âge, s'exerçant dans les villages souvent en plein air, où l’on se renvoie une balle au-dessus d’un filet
ou d’une corde, à main nue ou gantée de cuir. A l’origine du tennis.
- Barbier : celui qui coupe les cheveux et la barbe mais
aussi celui qui effectue les saignées, pose les ventouses et panse les plaies
avant le XVIIIe
- Prévôt : agent seigneurial chargé de rendre la justice
- Billard : bâton au XIVe, XVe siècle
- Par une lettre de rémission, le roi accorde son pardon à l'accusé pour ses actes, et le
rétablit dans sa « bonne renommée » et dans ses biens.